L'enfant, ciment de toutes les familles

Plus qu’une révolution de la famille, une métamorphose de la parentalité
Résumé

Quels que soient le type de familles – traditionnelle, recomposée, monoparentale ou homoparentale – et la nature de la filiation entre parents et enfants, ces derniers occupent une place centrale au sein du foyer.

Plus qu’une révolution de la famille, une métamorphose de la parentalité

Quels que soient le type de familles– traditionnelle, recomposée, monoparentale ou homoparentale – et la nature de la filiation entre parents et enfants, ces derniers occupent, dans la très grande majorité des cas, une place centrale au sein du foyer.

Certes, au cours des dernières décennies, la notion de famille s’est élargie et diversifiée. « Toutefois, aujourd’hui encore, trois enfants mineurs sur quatre vivent avec leurs deux parents biologiques », souligne François Fondard, président de l’Unaf (Union nationale des associations familiales). Les autres évoluent pour 18 % avec un parent isolé (familles monoparentales) et 7 % vivent avec un parent et un beau-parent. « Par ailleurs, le nombre de divorces et de mariages est relativement stable et, sur les 10 000 Pacs contractés chaque année, 5 % seulement unissent deux personnes de même sexe. » L’homoparentalité, difficile à mesurer, concernerait de 20 000 à 23 000 enfants. « On peut considérer, au regard des statistiques, que la tendance des différents modèles familiaux est à la stabilité depuis une quinzaine d’années », ajoute François Fondard.

L'enfant, un lien à vie avec son parent de "cœur" 

Photographie de François FondardStabilité, toujours, en matière de taux de fécondité. Il se situe en France aux alentours de 2 enfants par couple, contre 1,3 environ chez nos voisins espagnols, italiens ou allemands. Le président de l’Unaf y voit les effets positifs d’une politique familiale, « caractérisée, entre autres choses, par le congé parental d’éducation ou l’aide à l’emploi d’une assistante maternelle, grâce auxquels les femmes peuvent concilier vies professionnelle et familiale ». Au-delà, ce taux nous dit également que malgré la crise, les Français sont suffisamment confiants dans l’avenir pour faire des enfants. Mais il y aurait une autre explication, avancée par la sociologue Irène Théry lors d’un entretien accordé à l’hebdomadaire L’Express (1) en avril dernier : « Le principe d’indissolubilité s’est déplacé du mariage vers la filiation.[…] L’enfant est le seul et unique lien ”à vie” dans une société où l’on peut tout perdre– conjoint, travail, maison – du jour au lendemain ». Voulu, désiré, choyé, quel que soit le mode de filiation, l’enfant cimente l’union de deux êtres et tient une place centrale au sein du foyer. Même lorsque ce foyer change de nature.

Les turbulences de la vie familiale peuvent fragiliser l'enfant

« Néanmoins, divorcer, vivre seul avec ses enfants ou se remettre en couple (une ou plusieurs fois) influence de façon certaine le comportement de certains enfants concernés par ces changements», note François Fondard. À titre d’exemple, des enquêtes réalisées dans les années 1990 démontrent que la dissociation familiale avant les 18 ans de l’enfant réduit la durée moyenne de ses études entre 6 mois et 1 an. En 2007, 23,1 % des enfants qui vivaient au sein d’une famille recomposée sont parvenus en sixième en ayant redoublé au moins une fois à l’école élémentaire ; 24 % des enfants de familles monoparentales sont également dans ce cas. Causes de ces perturbations de la vie scolaire ? Le contrôle moindre de la scolarité, l’autonomie plus précoce de l’enfant et les perturbations engendrées par son changement de situation, mais aussi les difficultés financières. Si 14 % des familles sont sous le seuil de pauvreté en France, c’est plus du double, 30 %, que l’on trouve au sein des familles monoparentales. Dernière cause identifiée, qui n’est pas la moindre : la distension du lien père/enfant.
 

Qu'importe la situation, c'est le lien qui compte

En facilitant le divorce par consentement mutuel, la loi du 26 mai 2004 visait à pacifier les séparations et devait ainsi, à terme, contribuer au maintien du lien père/enfant. Déjà, la loi du 4 mars 2002 posait comme principe l’exercice commun de l’autorité parentale entre père et mère en cas de séparation. Elle s’applique de fait dans 98 % des divorces et 93 % des séparations de parents non mariés. Mais la résidence des enfants reste fixée chez la mère dans sept cas sur dix, et la résidence alternée est rare. En cas de séparation, l’exercice de la paternité est mis à rude épreuve par l’absence de vie quotidienne avec l’enfant. D’après une enquête Érfi (Études des relations familiales et intergénérationnelles) de 2005, près d’un enfant mineur de parents séparés sur dix ne voit jamais son père. Et, pourtant, les études démontrant l’effet positif sur le développement social, cognitif et émotionnel de l’enfant du maintien de l’engagement du père dans son éducation après la séparation sont nombreuses. « La stabilité familiale est, certes, idéale et a été notre modèle pendant les derniers siècles, mais c’est bien la stabilité de la relation individuelle entre le parent et l’enfant qui est essentielle », conclut François Fondard.
 
(1) « C’est l’égalité des sexes qui bouleverse la famille », article de Claire Chartier, L’Express n° 3225, avril 2013

Le vieillissement de la population change la donne

Que va devenir la notion même de famille dans un futur proche ? Le point de vue de Julien Damon, docteur en sociologie.

Quelle définition peut-on aujourd’hui donner de la famille ?
Julien Damon : Il existe une grande diversité de liens familiaux, de plus en plus reconnus par le droit, qui prend en compte et traduit des évolutions de la société. Durant les deux à trois derniers siècles, en France, le matériau de base qui Photographie de Julien Damonservait à la construction des familles se composait d’un homme et d’une femme qui se mariaient à l’église comme à la mairie, et qui avaient des enfants dans le cadre de ce mariage. Depuis quelques années, ce modèle se diversifie, mais il existe une distorsion entre la nature réelle des changements opérés et la perception que le grand public peut en avoir.

Qu’entendez-vous par là ?
J. D. : Alors qu’on annonce d’un ton mortifère la « désintégration de la famille », les modèles familiaux sont finalement assez stables. En revanche, depuis le début de ce siècle, il naît plus d’enfants issus d’une union libre ou d’un Pacs que d’un mariage. Les parents sont en moyenne plus âgés à leur arrivée, et le nombre d’enfants par famille a considérablement diminué en trois ou quatre générations. Ces derniers sont devenus la pierre angulaire du foyer. Les vrais changements sont là.

Quid des rapports enfants/parents, à l’avenir, au sein des familles recomposées ?
J. D. : Sans liens du sang ni statut juridique, le rapport de l’enfant à ses beaux-parents– au sens moderne de « nouvelle compagne ou nouveau compagnon d’un de mes parents biologiques » – est essentiellement affectif. Et il me paraît difficile, car compliqué, que la législation évolue sur ce point. En conséquence, il me semble que l’attitude de l’enfant sera fonction essentiellement de la réponse à sa question : Est-ce que je juge que ce « beau-parent » a été pour moi un « bon parent » ? Et quid du rapport humain que j’ai avec elle ou lui ?

Que traduisent-ils ?
J. D. : L’enfant n’est plus une nécessité économique. Il ne représente plus des bras pour travailler au champ ou celui à qui le père transmettra son métier. Donner naissance à un enfant, c’est une réalisation de soi, un acte d’amour, et les parents, même divorcés, ne se séparent pas de leurs enfants. Le lien est le plus souvent indéfectible. La question d’avenir à se poser est plutôt celle du lien de l’enfant actuel à sa cellule familiale quand il deviendra adulte. En effet – et c’est déjà souvent le cas –, il lui incombera, à la fois juridiquement et économiquement, d’élever ses propres enfants et de s’occuper de ses parents, qui risquent de se trouver en situation de dépendance. Le vieillissement de la population est une donnée fondamentale de l’évolution de la famille. Désormais, elle peut comprendre quatre, voire cinq générations. Or, à titre d’exemple, il n’existe pas d’obligation alimentaire entre grands-parents et petits-enfants. Vaste thème de réflexion…

Protection juridique : tendre vers l’égalité des droits

Filiation, adoption ou droits successoraux : sur tous ces sujets, la loi tend vers une protection uniforme des enfants, quel que soit leur statut juridique au sein de la famille. Éclairage sur quelques points clés par Gaëlle Baldet-Ladan, responsable de délégation au sein de la CFDP, Compagnie française de protection juridique.

Depuis maintenant près d’un demi siècle,le législateur tend à vouloir gommer les inégalités de traitement entre les enfants en matière de succession. En 1971 (2), il accorde aux enfants nés hors mariage des droits identiques à ceux dont les parents ont convolé en justes noces. « Il existe une présomption légale de filiation pour les enfants nés au sein du mariage. La reconnaissance de l’enfant né hors mariage, à la mairie, suffit à établir sa filiation et à lui conférer les mêmes droits sur la succession », indique Gaëlle Baldet-Ladan. Plus récemment, en 2001 (3), le législateur a fait de même pour les enfants adultérins.

Rédiger son testament, une sage précaution

D’une manière générale, la meilleure des précautions à prendre pour protéger ses enfants est de rédiger un testament qui indique quelle est, après son décès, la répartition des biens à laquelle on souhaite procéder, et de le déposer chez un notaire. « Il en coûte quelques dizaines d’euros seulement et, si les volontés exprimées dans ce document sont conformes à la loi, elles seront respectées », assure la juriste.

L'adoption : donner des droits et créer un lien

En matière d’adoption, deux possibilités existent, qui sont l’adoption plénière – l’enfant acquiert de plein droit le statut d’enfant légitime et bénéficie des mêmes droits en cas de succession – , et l’adoption simple – L’enfant conserve sa filiation et ses droits vis-à-vis de ses parents biologiques. Il est en quelque sorte l’enfant de deux familles différentes et peut hériter des deux.

Autorité parentale : de nombreux cas de figures possibles

Si l’un des deux parents décède, l’autorité parentale revient automatiquement au conjoint survivant. Si les deux parents décèdent, le ou les enfants majeurs du couple peuvent se voir confier la responsabilité des frères et sœurs mineurs. Si le ou les enfants du couple sont mineurs au moment du décès, un conseil de famille sera réuni sous la surveillance du juge des tutelles et désignera un tuteur. « Sauf si,devant notaire ou par testament, les parents ont eu soin de désigner une personne chargée d’exercer l’autorité parentale sur leurs enfants mineurs au cas où l’un et l’autre viendraient à décéder », précise Gaëlle Baldet-Ladan.

Décharger les enfants majeurs de responsabilités trop lourdes

Cette précaution permet de pallier les difficultés auxquelles peut se trouver confronté un enfant majeur « obligé » de gérer les biens de la succession au décès de ses deux parents, et en position de devoir disposer des biens de ses frères et sœurs mineurs, « par exemple, pour procéder à des réparations urgentes au domicile familial », complète Gaëlle Baldet-Ladan. Une charge très lourde à assumer lorsque l’on a 20 ans et que ce type de problème vient s’ajouter à la douleur d’avoir perdu ses deux parents.

Le contrôle du juge des tutelles

Dans tous les cas, le parent survivant, ou le tuteur, devra rendre compte de sa gestion des biens du ou des enfants mineurs, au moins une fois l’an, au juge des tutelles. En outre, le subrogé tuteur sera chargé de surveiller la gestion du tuteur et devra saisir le juge des tutelles s’il constate des fautes dans la gestion. « Au jour de sa majorité, l’enfant orphelin dispose d’un délai de cinq ans pour engager une action en justice contre les organes de tutelle (juge, greffier,etc.), s’il estime avoir été victime d’un dommage dans la gestion de ses biens », ajoute Gaëlle Baldet-Ladan. Là encore, la priorité a été donnée par le législateur aux droits de l’enfant.

(2) Loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation. 3) Loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

Pour aller plus loin

A lire

  • Julien Damon propose dans cet article une analyse des bouleversements familiaux et d’une évolution du droit depuis 1950, tout en s’interrogeant sur les scénarios envisageables pour l’avenir de la famille. « Les métamorphoses de la famille, rétro-prospective, tendances et perspectives en France », Julien Damon, revue Futuribles, septembre 2013.
  • Les liens qui sauvent Boris Cyrulnik décrit dans ce livre des cas célèbres de résilience (Maria Callas, Barbara, Georges Brassens...) tout en montrant l’universalité du processus qui se met en oeuvre dès la petite enfance, avec le tricotage des liens affectifs puis l’expression des émotions.> Les vilains petits canards, Boris Cyrulnik, Éditions Odile Jacob, 2004.
  • Question d’éthique Faut-il lever l’anonymat des donneurs dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation ? D’une plume résolument engagée, Irène Théry propose un regard critique sur le modèle bioéthique français. > Des humains comme les autres : bioéthique, anonymat et genre du don, Irène Théry, Collection Cas de figure, Éditions EHESS, 2010.

Sites web

  • unaf.fr : retrouvez les publications, les études et recherches thématiques sur le site de l’Union nationale des associations familiales.
  • fondation-ocirp.fr : retrouvez les actualités et les projets soutenus par la Fondation d’entreprise OCIRP en faveur de la famille.
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